pays machiste où les femmes peinent à briser les plafonds de verre et à disposer librement de leurs corps; pays où les opportunités pour les couches sociales défavorisées de gravir l’échelle sociale et de faire fortune sont largement une légende depuis très longtemps;
pays qui se croit le phare de la démocratie alors que de nombreuses restrictions au droit de vote existent, que pour être élu, il faut disposer de millions de dollars pour n’importe quelle élection nationale et qu’en matière de politique étrangère il soutient des régimes totalitaires;
pays qui se revendique celui de la liberté mais où tous les propos les plus haineux et violents sont protégés par une théorie extrême de la liberté d’expression qui pourtant n’empêche pas de nombreux livres d’être interdits dans les bibliothèques publiques parce qu’ils ne sont pas politiquement correct c’est-à-dire qu’ils ne correspondent pas l’idéologie du parti dirigeant, une ville, un comté ou un Etat;
pays qui se targuent de défendre les valeurs humanistes mais qui vend au tout venant des armes de guerre qui permettent de perpétrer des tueries de masse et dont beaucoup d’Etats pratiquent encore la peine de mort;
pays qui s’honore d’avoir un «rêve» alors que celui-ci, qu’il soit à la sauce démocrate ou républicaine, a toujours été largement une fantasmagorie plutôt qu’une réalité:
depuis longtemps, voire depuis toujours, les États-Unis refusent de regarder en face ce qu’ils sont et ce qu’ils ne sont pas.
Cette myopie, voire cette cécité, touchent autant les gens de droite et ceux de gauche ou du Centre.
L’élection de Donald Trump pour un deuxième mandat est un nouvel exemple de ce refus, voire un aboutissement à ce comportement collectif qui est de l’ordre de la croyance.
Si c’était déjà le cas lors de l’élection de Ronald Reagan ou de Barack Obama, pour des raisons différentes, ce déni de réalité est porté ici à un degré paroxystique presqu’ultime.
Ainsi, la société étasunienne a bâti des récits et des mythes qui ont occulté ce qu’elle est et comment elle fonctionne.
Si c’est les cas de beaucoup d’autres sociétés de par le monde, le fait que les États-Unis, première puissance mondiale prétendent être un exemple pour les autres nations de la planète et se servent pour cela d’une construction idéologique aussi loin de la réalité a également une implication internationale.
Quoiqu’il en soit le fameux «modèle américain» est une façade qui permet à tous les Etasuniens de croire en leur exceptionnalité et de ne pas remettre en cause le réel fonctionnement de la société dans laquelle ils vivent alors qu’il est de plus en plus nécessaire qu’une prise de conscience rapide se manifeste avant que leur pays s’éloigne irrémédiablement de la destinée que ses Pères fondateurs lui avait assignée.
Bien sûr, de nombreux Américains sont conscients que leur pays se raconte une histoire qui n’est pas ce qu’ils vivent.
Certains sont même conscients qu’il tourne carrément le dos au soi-disant projet qu’il est censé suivre.
Mais l’inertie l’emporte le plus souvent.
Un exemple parmi tant d’autres: le système électoral pour élire le président.
Celui-ci a été conçu lors de l’indépendance du pays en sectionnant le pays par États où sont désignés des grands électeurs pour qui votent les Américains et qui, eux, éliront le président.
Deux caractéristiques qui rendent cette élection totalement antidémocratique d’autant que la répartition des grands électeurs ne se fait pas à la proportionnelle mais selon la règle du «vainqueur emporte le tout».
Ainsi dans un Etat qui choisit un candidat avec 50% plus une voix, ce dernier gagne tous ses grands électeurs.
Beaucoup d’Américains considèrent ce système, à la fois, obsolète (il avait été adopté pour empêcher un populiste de parvenir au pouvoir…) et indigne d’une vraie démocratie.
Il suffirait donc de le changer.
Sauf qu’il faudrait s’attaquer à l’idée que le pays a des institutions parfaites depuis la rédaction de la Constitution qu’il ne faut pas les changer sauf à la marge avec quelques amendements qui, malgré l’importance de certains d’entre eux (comme celui qui a aboli l’esclavage) ne remettent pas en cause ces mêmes institutions.
On pourrait dire la même chose de la Cour suprême, sensée être indépendante alors même que ses membres sont désignés par le président et le Sénat, deux institutions politiques, et qu’ils sont inamovibles, élus à vie.
Ce qui fait, par exemple, que Donald Trump a pu faire en sorte de façonner une cour à sa botte puisqu’il a réussi grâce aux circonstances mais aussi l’aide du Parti républicain qui a refusé en l’espèce d’appliquer les règles de démocratie, à nommer trois des neuf juges qui ont conforté la majorité conservatrice qui est même devenue réactionnaire et proche de l’extrême-droite.
Là aussi, de nombreux Américains savent que la plus haute instance judiciaire n’est pas à la hauteur de la démocratie.
Pourtant, toutes les tentatives de réforme ont échoué avec cette idée que le système politique du pays tel que définit par la Constitution est sacro-saint.
Même l’opinion partagé, par exemple, par le président actuel, Joe Biden, que les États-Unis sont une idée en cours de réalisation, a «work in progress», alors que la pays a largement perverti cette idée prouve bien, un, qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent et qu’ils ne l’ont jamais été, deux, qu’il refusent de faire un état des lieux qui serait accablant mais qui aurait peut-être comme bénéfice de corriger la trajectoire suivie.
Encore faudrait-il que les Américains qui croient qu’ils sont sur le bon chemin réalisent qu’ils ont emprunté le mauvais il y a bien longtemps et que celui-ci risque bien dans un avenir proche d’être une voie sans issue pour les valeurs humanistes.
Et tel n’est pas le cas.