Extrapolons et demandons-nous si la démocratie doit en faire de même avec ceux qui l’ont «dilapidée», c’est-à-dire qui l’ont trahie et combattue ainsi que ses valeurs.
Est-ce que la démocratie doit être aussi généreuse envers ceux qui voulaient sa destruction, qui ont agi en ce sens et qui ont menacé la liberté des autres, ceux qui lui sont restés fidèles?
Doit-elle seulement les considérer comme des «égarés» qui retrouveront le bon chemin quand, éventuellement, ils s’apercevront qu’ils ont choisi les mauvais?
Si l’on doit se réjouir à chaque fois que les idéologies populistes et totalitaires perdent des adeptes qui (re)viennent dans le giron de la démocratie, doit-on comprendre et excuser leur «égarement» qui a menacé son existence?
Est-ce que militer et/ou voter pour les extrêmes et les populismes doit vous bannir à vie de la famille des démocrates ou doit-on faire en sorte de dissocier l’adhésion et l’adhérent – et les raisons de son adhésion – en condamnant la première et en tentant de convaincre le second de son erreur?
Ici, tout dépend des actes qu’il a commis lors de ce militantisme ou ce compagnonnage.
A ce titre, rappelons que seuls les membres du parti nazi allemand qui étaient des criminels ou des complices de ceux-ci ont été poursuivis après la Deuxième guerre mondiale.
Tous les Allemands (et Autrichiens) qui ont suivi Hitler du tout début de son accession au pouvoir jusqu’au bout du bout et l’ont adulé n’ont pas été inquiétés.
Ne sont-ils pas pourtant des complices tout aussi dangereux car ayant voté pour un parti qui cachait peu ses intentions puis soutenu un régime criminel lui permettant de commettre ses méfaits et son génocide?
Beaucoup d’ailleurs ne se sont jamais repentis et ont toujours adhéré à l’idéologie national-socialiste après la guerre.
N’oublions jamais ce sondage réalisé par l’armée américaine en 1945 où, dans un pays totalement dévasté et génocidaire du fait de la folie d’Hitler et de ses comparses, une majorité d’Allemands estimaient que le nazisme était un bon régime mais «mal appliqué»…
Comment alors considérer ceux qui sont des soutiens aux partis extrémistes dont les objectifs sont la destruction de la démocratie républicaine libérale?
Doit-on tenter de les convaincre de leur égarement en les ménageant, doit-on les combattre sans merci tant qu’ils sont les enfants prodigues de la démocratie ou doit-on les exclure définitivement de la communauté démocratique?
Beaucoup de politiques ne veulent pas stigmatiser cet électorat des partis dont l’idéologie est soit populiste, soit totalitaire, soit les deux.
Pour eux leur égarement n’est pas un pécher capital, seulement une simple erreur.
De fait, ils ne les excluent pas de la communauté démocratique.
C’est-à-dire qu’ils leur permettent d’agir et de parler pour défendre ces idéologies liberticides et irrespectueuses de la dignité de l’individu au nom de la liberté elle-même.
En agissant ainsi ne commettent-ils pas une grave erreur qui atténue leur acte d’adhésion au populisme ou au totalitarisme, ce qui d’ailleurs peut inciter d’autres à les rejoindre?
Car ceux qui, en responsabilité, décident de combattre la démocratie républicaine libérale ne peuvent être considérés comme de simples «égarés».
Ils ont choisi librement ce combat et la violence qui va le plus souvent avec en déniant que les valeurs humanistes portées par ce régime sont les seules qui respectent la dignité de chaque individu et qui permettent de vivre dans une société de paix et de concorde avec comme devise «liberté, égalité, fraternité».
Leur proposer la rédemption gratuite et le pardon automatique quand ils se seront rendus compte de leur égarement est un bien mauvais message envoyé à tous ceux qui franchissent la ligne de la démocratie puisqu’ils ne seront pas tenus de rendre des comptes.
Ainsi, tout engagement produit des conséquences qui ne peuvent être passées par pertes et profits.
Bien sûr, la démocratie républicaine libérale n’est pas un régime qui exclut.
Au contraire, celle-ci s’établit sur le consensus et l’acceptation de tous.
Mais peut-on accepter qu’elle nourrisse elle-même de par ses valeurs, ses principes et ses règles ses ennemis au nom même de ses valeurs, de ses principes et de ses règles?!
Si tel est le cas, elle demeurera toujours d’une extrême fragilité.
Cependant, si elle agit pour se protéger, elle sera sur une ligne de crête quant à ses valeurs, ses principes et ses règles.
Néanmoins, elle ne peut demeurer sans réaction au risque d’être détruite par ses ennemis de l’intérieur.
Ce dilemme, la démocratie voulait le régler en «créant» le citoyen, celui qui serait responsable de sa vie ainsi que de sa communauté et respectueux de la dignité de l’autre et de son individualité, en émancipant l’individu par le savoir.
Si cela a été un succès pour une partie de la population des pays qui vivent sous son régime, l’échec est une réalité pour une autre partie.
Dès lors, pour protéger et sanctuariser les droits «naturels» de la personne, la démocratie doit se défendre face à ses enfants prodigues et bien leur signifier que leur départ de la communauté démocratique a un prix.
En tout cas, ce débat doit être ouvert avant qu’elle ne disparaisse.
Et c’est urgent.
Alexandre Vatimbella