Un contresens majeur.
Car un peuple vivant dans un régime démocratique n’est pas synonyme d’un peuple démocratique.
Pour qu’un peuple qui vit en démocratie soit en même temps un peuple démocratique, il doit répondre aux critères nécessaires pour que ce régime existe réellement et non formellement ainsi qu’il fonctionne correctement c’est-à-dire que le peuple doit effectivement être capable d’utiliser l’ensemble des bienfaits qu’il lui offre.
Un peuple démocratique est l’aboutissement du projet démocratique qui de virtuel devient alors effectif, faisant se rejoindre la forme et le fond.
Or donc, aujourd’hui, nous avons des peuples qui vivent en démocratie, des individus qui vivent dans des régimes démocratiques mais qui ne peuvent pas être assimilés à des peuples et des citoyens démocratiques.
Ainsi, aucun peuple actuellement ne correspond à la
définition d’un peuple démocratique c’est-à-dire «un peuple composé d’individus
dont chacun d’entre eux a acquis la réelle qualité de citoyen parce qu’il a été
correctement formé et informé ce qui le rend capable:
- d’utiliser ses droits et de remplir ses devoirs;
- d’utiliser son autonomie en étant responsable de son existence c’est-à-dire
d’être celui qui dirige sa vie en prenant des décisions responsables et
rationnelles, en les assumant, concernant ses intérêts ainsi que ceux de ses
proches et les intérêts de la communauté dans laquelle il vit afin de mener au
mieux son propre projet de vie tout en respectant celui des autres;
- de faire la différence entre liberté et licence;
- de respecter l’individualité et la dignité de l’autre comme sont respectées
les siennes.
- d’entretenir des relations pacifiques avec les autres en pratiquant le consensus et le compromis.»
S’il est facile de faire le triste constat qu’un tel peuple n’existe pas – et que peu d’individus répondent aux critères listés ci-dessus pour être des citoyens à part entière, c’est-à-dire d’exercer cette qualité de manière optimum – alors que le projet démocratique est en cours depuis près de 250 ans, la question qui demeure en suspens est de savoir s’il pourra un jour exister.
Rappelons que les initiateurs et défenseurs d’un ordre démocratique étaient évidemment conscients de la nécessité de créer un peuple démocratique, des difficultés que cela représentait et du défi qu’ils devaient relever.
Ils savaient qu’il fallait un individu éveillé c’est-à-dire ayant reçu un enseignement de qualité et au courant du monde dans lequel il vit, c’est-à-dire correctement informé d’où l’importance de l’école obligatoire et d’une presse de qualité.
Sans dire que l’école et la presse ont complètement échoué dans leurs missions démocratiques, elles n’ont néanmoins pas réussi à façonner l’individu pour le conduire vers la citoyenneté véritable.
Pire, cet individu dévoie souvent les offrandes démocratiques dans une démarche consumériste égocentrique, irresponsable et irrespectueuse, les retournant contre le projet démocratique en cours, le mettant en péril et menaçant son existence même.
D’où la conclusion pour certains qu’il en sera toujours de même donc que l’individu démocratique ne sera jamais.
Je ne serai pas aussi catégorique.
Ce qui ne permet pas encore de conclure que le projet démocratique, s’il est bien un échec aujourd’hui, le sera définitivement demain, c’est que les moyens n’ont jamais été à la hauteur de l’ambition de créer cet humain libre, conscient de sa liberté et capable de bien l’utiliser.
Cependant, il faut bien comprendre que le défi à relever demande une mobilisation autrement plus conséquente de moyens matériels et intellectuels que ceux qui ont été consacrés jusqu’à présent à cette tâche cardinale.
Comme si on avait jusqu’à présent espérer qu’un ersatz de citoyen suffirait au projet démocratique!
Une terrible erreur que nous payons et que nous paierons au prix fort si nous ne faisons rien pour créer la dynamique essentielle.
C’est dans ce sens – en consacrant les moyens nécessaires – que l’on peut espérer que l’invention d’un peuple démocratique ne sera pas une simple chimère d’idéalistes un peut trop rêveurs.
En revanche, nous devons être conscients que le peuple démocratique n’est encore qu’un objectif et non un but atteint.
Et que le temps presse.
Alexandre Vatimbella