Le refus de réalité n’est pas nouveau. De même que l’opposition violente entre différentes «vérités». En revanche, la sombre et effrayante nouveauté est que les nouvelles technologies de l’information ont permis à ces phénomènes de prendre une dimension jamais vue. Mais c’est bien le dévoiement des valeurs, principes et règles de la démocratie qui est au cœur du problème.
Si la démocratie n’a pas encore réussi à faire d’un individu un citoyen responsable de sa vie et respectueux de la dignité des autres, en revanche elle lui a donné les attributs de cette citoyenneté qu’il a utilisé à l’exact inverse.
Ainsi en est-il de son autonomie qui n’a de sens que si elle s’accompagne de cette responsabilité et de ce respect.
Sinon, elle est la porte ouverte à tous les débordements que nous connaissons où le «moi, je» non seulement prégnant mais souvent seul moteur des comportements de l’individu pervertit cette autonomisation où l’on se croit une sorte de maître du monde, tout au moins de soi sans en avoir les capacités, surtout sans en respecter les règles.
Dès lors, ce n’est plus la réalité qui est importante mais une soi-disant réalité que l’on crée pour soi (et que l’on peut partager avec d’autres) et qui est en choc frontal avec la réalité de l’autre sans plus aucune médiation de la «vraie» réalité.
Une autonomie qui décomplexe également les comportements qui deviennent plus agressifs et parfois violents et même très violents avec l’autre qui est désormais considéré comme un ennemi et non un même membre de sa communauté, de la société que l’on partage.
Evidemment, cela fait les affaires des idéologies extrémistes et populistes ainsi que des démagogues mais aussi des régimes autocratiques et totalitaires étrangers ainsi que de leurs agents dans les démocraties.
Ce qu’il y a d’inquiétant c’est le dénuement dans lequel se trouvent les démocraties républicaines pour répondre rapidement et avec efficacité à ce défi qui pourrait les broyer à terme.
Car ce n’est que dans la formation et l’information de l’individu que l’on peut agir profondément pour que les valeurs humanistes ne soient pas des armes qui détruisent la démocratie, c’est-à-dire la liberté, l’égalité, le respect de la dignité de l’autre et la solidarité.
C’était le pari de la démocratie et cela le demeure.
En attendant – mais il ne faudrait pas attendre trop longtemps – la seule manière de lutter pour la démocratie et ses partisans est ce combat de Sisyphe, chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde recommencé de contrer les phénomènes destructeurs de cette autonomisation à la fois égocentrique, assistée, irresponsable, insatisfaite, irrespectueuse et consumériste ainsi que de ces demandes de sur-reconnaissance et de sur-égalité illégitimes sans oublier ceux qui s’en servent pour affaiblir la démocratie et la faire disparaitre in fine. (1)
Alexandre Vatimbella
(1) Pour ceux que cela intéresse, ils peuvent se référer à mon ouvrage «L’individu du 21e siècle, le grand prédateur de la démocratie»