Tout a été dit et redit, écrit et réécrit sur la liberté.
Mais ce qui m’intéresse ici, c’est de constater comment elle est perçue et vécue en ce 21e siècle, le premier de notre troisième millénaire.
D’abord, un petit rappel utile de ce que l’on entend par liberté dans une société démocratique donc dans une communauté de plusieurs personnes qui partagent le même espace et qui sont assujetties aux mêmes règles, société qui a vocation à donner le plus d’autonomie à l’individu sans rompre l’indispensable lien social.
Ainsi que l’énonce l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, «la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui».
Donc la liberté de l’un s’arrête là où commence la liberté de l’autre.
La liberté n’est donc pas de faire tout ce que l’on veut sans frein, ni limite, ce qui est le dévoiement de la liberté, c’est-à-dire la licence.
On parle donc ici de liberté responsable et respectueuse, la seule qui peut avoir cours dans une société d’individus égaux.
La question est de savoir si nous sommes en ce début de troisième millénaire dans cette définition ou si nous nous sommes affranchi de celle-ci dans nos pratiques de la liberté en en modifiant les termes et en revendiquant le droit à transgresser ses limites, pour, concrètement, se rapprocher de la licence et s’éloigner des notions fondamentales de responsabilité et de respect.
Car deux constats s’imposent au vu du fonctionnement actuel des régimes démocratiques.
Le premier est que la démocratie est allée plus vite que le citoyen.
Le deuxième est que la liberté dans une démocratie est largement instrumentalisée et dévoyée par les individus et les peuples qui en bénéficie.
Premier constat, la démocratie est allée plus vite que le citoyen.
Nous savons que pour que la démocratie vive et se développe pleinement selon ses valeurs, ses principes et ses règles, il est indispensable que le citoyen qui vit sous son régime soit bien formé et bien informé pour qu’il soit complètement responsable de lui-même, dans tous les sens du terme, c’est-à-dire responsable du choix de ses actes mais aussi qu’il ne dépende de personne pour choisir et construire son propre projet de vie par rapport à son individualité qu’il façonne au cours de son existence.
Or, ce citoyen n’existe pas ou peu!
Oui, nous avons fait des progrès depuis l’invention de la démocratie moderne aux Etats-Unis et en France au 18e siècle.
Mais les populations n’ont pas atteint le degré de maturité démocratique alors même que la démocratie, elle, s’est développée et offre au citoyen la réelle possibilité de son autonomie.
Ce hiatus recèle des risques énormes pour la liberté.
D’autant que, second constat, loin de ne pas utiliser son autonomie, c’est-à-dire de sa liberté d’agir en tant que personne indépendante et émancipée, le citoyen la pratique sans restriction mais de manière irresponsable, égocentrique, irrespectueuse et consumériste avec insatisfaction et des revendications d’assistanat, ce qui corrompt fortement et la liberté, et l’égalité et la fraternité, piliers de la démocratie moderne.
Dès lors l’exercice effectif de la liberté dans ce troisième millénaire risque de détruire… la liberté.
Car cette liberté débridée et sans responsabilité s’apparente bien plus à de la licence, c’est-à-dire une liberté irresponsable et irrespectueuse.
Les adversaires de la liberté affirment que cette situation est logique, la plupart des individus n’étant pas capables d’exercer leurs libertés et que systématiquement ils s’affranchissent des freins et des limites nécessaires à l’existence d’un régime démocratique.
Ses partisans, eux, estiment qu’il est possible de créer ce citoyen responsable et respectueux.
Mais ils savent également que nous ne sommes pas encore parvenus à le faire à l’échelle d’une société entière, nulle part, et que l’avancée de la démocratie impose des résultats rapides alors même que le temps long est souvent nécessaire pour insuffler les bons comportements à une population.
C’est là, d’ailleurs, que se trouve une des faiblesses, voire la principale faiblesse, de la démocratie dans son échec relatif mais bien réel de n’avoir pas réussi à permettre aux peuples qui vivent sous son régime d’être en capacité de la vivre sans la menacer.
On connait la méthode pour y parvenir sauf qu’aucun pays démocratique n’a jamais mis les moyens suffisant pour cela, soit par totale négligence, soit par la croyance ridicule que le temps ferait le travail à la place des humains.
Cette erreur, voire cette faute, paradoxalement, permet de demeurer raisonnablement optimiste sur l’avenir de la démocratie en ce troisième millénaire mais si et seulement si nous investissons massivement dans ce citoyen responsable et respectueux.
On peut affirmer que nous sommes à un moment-clé des démocraties.
Soit celles-ci sont capables d’amener leurs populations à un état qui leur permet de vivre en et la démocratie, soit l’autonomisation débridée de l’individu qui s’étend d’années en années l’emportera.
Une autonomie qui détruira le lien social qui soutient l’existence de la liberté, celle qui permet la vie en société démocratique, amenant soit le chaos ou un régime totalitaire, voire un chaos qui induira la survenance d’un régime totalitaire.
Rien n’est perdu mais rien n’est gagné non plus.
Alexandre Vatimbella