Et il ne s’agit pas de discuter ici de la différence entre la vraie liberté et la licence qui se déguise en liberté.
La liberté est et sera toujours, en effet, une valeur confrontationnelle dans la pratique (alors qu’elle ne l’est pas forcément dans la théorie).
Cela signifie que la liberté de l’un se confronte toujours à celle d’un autre, à celle de tous les autres.
Cela signifie également que les différents types de liberté (d’opinion, de déplacement, de choisir telle ou telle chose, etc.) sont souvent en confrontation entre elles.
Pour tenter d’éliminer le plus possible cette confrontation ou la rendre non-violente, on définit la liberté en société comme de faire tout ce que l’on veut sans empiéter sur la liberté de l’autre.
Belle définition mais qui ne tient pas en pratique, en tout cas sans une force de répression pour interdire à l’un d’empiéter sur la liberté de l’autre.
Mais même cette règle démocratique imposée par la force n’empêche pas la liberté de jouer contre elle-même.
Ainsi de la liberté d’attaquer la liberté grâce à la liberté.
Je peux ainsi être un opposant à la liberté et avoir la liberté de le dire, de militer pour au nom de cette liberté que je veux supprimer.
Bien sûr, quand je passe à l’acte, j’entre en conflit avec la règle démocratique qui, en fait, restreint ma liberté d’agir même si celle-ci est, en l’occurrence, de dépasser les limites démocratiques de la liberté et de tomber dans la licence.
Bien entendu, ce que je dis là n’est pas nouveau et nombre de penseurs et de philosophes l’ont dit avant moi et mieux que moi.
Pour autant, cela a une conséquence sur le régime de la liberté, la démocratie.
Celle-ci porte ainsi en elle-même sa propre destruction et dans un paroxysme peut même s’autodétruire elle-même.
Car si la démocratie ne peut plus être seulement considérée comme le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple puisqu’elle ne peut être à la merci d’un vote de la majorité pour la supprimer, dans les faits, c’est encore possible.
En donnant la liberté à une majorité de citoyens lors d’élections ou de référendums de voter pour des ennemis de la démocratie ou pour l’abolir, la démocratie crée les conditions de sa propre disparition ce qui n’est évidemment pas le cas d’un régime totalitaire.
En imaginant que 99% de la population décide de supprimer la démocratie et donc la liberté, comment les 1% pourront concrètement s’y opposer?
Et s’ils s’y opposent, ils n’ont aucune chance de remporter le combat et, en revanche, le risque de finir morts ou en prison.
De même, introduire une règle empêchant d’abolir la démocratie par exemple dans une Constitution n’a de force que si elle est consensuellement partagée et acceptée.
Fragile liberté et fragile démocratie qui peuvent être instrumentalisées jusqu’à plus soif alors même qu’elles sont les plus beaux cadeaux que les peuples peuvent se faire à eux-mêmes.
Sortir de cette impasse de leur fragilité inhérente passe, on le sait, par des citoyens conscients de la valeur intrinsèque de la liberté et de la démocratie, c’est-à-dire des citoyens éveillés qui ont reçu une formation qui leur permet de distinguer leur intérêt et de le préserver mais aussi une information qui empêche les aventuriers de tenter de les influencer pour leur retirer ces deux biens.
Mais comme nous ne sommes pas dans un monde parfait où les gentils dominent par la seule persuasion des méchants, ces derniers – en l’espèce les ennemis de la liberté – doivent être interdits de pouvoir attenter au régime démocratique.
In fine, la liberté doit être défendue même contre elle-même.
Bien sûr, cette affirmation fera bondir nombre de ceux qui croient qu’on ne peut la limiter que lorsqu’elle devient licence, c’est-à-dire lorsqu’elle ne respecte plus celle de l’autre.
Cependant, force est de reconnaitre que la parole et l’écrit (l’opinion) permettent d’agir et que lorsqu’elles appellent à la sédition, à la violence et à la suppression de la liberté, elles doivent être combattues.
Et s’il semble difficile d’empêcher la libre expression dans un régime de liberté au-delà d’attaques personnelles ou d’appels au meurtre, on peut empêcher que cette expression se matérialise dans des organisations et des actions.
On peut penser – ou espérer – que s’il y avait eu de telles limites, des personnages comme Hitler, Staline, Mao, Mussolini, Franco, Khomeiny, Kadhafi, Amin Dada et tous les autres, contemporains et dans l’Histoire, et ils sont beaucoup trop nombreux, n’auraient pu mener à bien leur entreprise de destruction et que l’on aurait pu sauver des centaines de millions de personnes tout en leur assurant la liberté.
Pensons-y alors qu’une nouvelle génération de scélérats est en train de tuer la liberté un peu partout dans le monde.
Sans oublier tous ceux qui font profession de le faire dans les démocraties.
Louons sans réserve la liberté mais ne soyons pas dupes de son masochisme.
Surtout, préservons-nous de ses effets destructeurs.
Reste que la lucidité nous impose, aujourd’hui, de se battre à chaque instant pour cette liberté face aux assauts, aux attentats, aux agressions, aux outrages et aux provocations, parce qu’il en va de notre dignité d’humain.
Alexandre Vatimbella