Pendant longtemps, les Américains, ont vénéré, dans un
consensus quasi-unanime, leur Constitution, la «meilleure du monde» selon eux,
qui est toujours en vigueur plus de deux cent cinquante ans après son adoption.
Même ses nombreux archaïsmes étaient défendus jusque chez
les progressistes et les voix dissidentes étaient rares.
Mais, petit à petit, la réalité a mis du plomb dans l’aile à
cette fierté et cette illusion que ce texte était fait pour durer jusqu’à la
fin des temps sans que l’on ait besoin de changer une virgule ou pas beaucoup
plus a fait long feu.
Bien sûr, quelques amendements ont été ajoutés au texte
initial comme le fameux «Bill of rights», cette déclaration des droits humains
qui fut rapidement insérée après que l’on est constaté son oubli fâcheux.
Puis, quelques autres dispositions entrèrent dans le corpus
sacré comme celle sur l’abolition de l’esclavage ou celle d’abord instituant la
prohibition puis celle ensuite l’annulant…
Ainsi beaucoup de ses incongruités dans une démocratie
républicaine moderne n’ont pas été supprimées.
Tel le second amendement sur le port d’arme, adopté alors
que le pays ne se dotait pas d’une force armée et comptait sur des milices pour
assurer sa protection et qui a été récupéré par les partisans des armes à feu
pour légitimer leur possession par des particuliers, faisant ainsi des milliers
de morts chaque année dans le pays.
Et puis, bien sûr, les règles concernant organisation de
l’élection présidentielle qui permettent, avec un système à deux échelons où ce
sont les grands électeurs qui choisissent le vainqueur, à des candidats ayant
moins de voix de l’emporter, comme ce fut le cas pour Donald Trump en 2016 avec
près de trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton ou de George W Bush qui
fit faire de même en 2000 face à Al Gore.
Il y a aussi cette institution d’un bicamérisme presque
total, c’est-à-dire qu’une loi ne peut être adoptée sans que les deux chambres
du Congrès, celle des représentants et le Sénat, l’aient votée.
Un Sénat où chaque Etat, quel que soit sa grandeur et,
surtout, le nombre de sa population, dispose de deux sièges, ce qui donne une
prime extraordinaire aux petits Etats, souvent ruraux, les plus conservateurs –
disposition adoptée pour que la Constitution soit ratifiée à l’époque, ce qu’elle
n’aurait pu l’être sans cela.
C’est dans ce dernier cas qu’il faut chercher la raison
première de l’impossibilité pour Joe Biden de faire adopter ses réformes dans
l’état dans lequel il avait prévu de le faire.
Tout cela parce qu’un seul sénateur d’un des Etats les plus
pauvres et les moins peuplé du pays, celui de la Virginie occidentale, s’y
oppose.
Celui-ci est pourtant démocrate mais néanmoins conservateur,
issu d’une catégorie en voie de disparition mais toujours présente dans la
formation centriste.
Or, suite aux résultats des élections de 2020, le Sénat
compte autant de membres républicains que démocrates, ce qui fait que la voix
qui fait pencher la balance pour ces derniers est celle, théoriquement, de la
vice-présidente, Kamala Harris, présidente de droit de la Haute-assemblée et
qui départage ainsi les camps qui, depuis des années maintenant, sont tellement
clivés que chaque partie vote le plus souvent en bloc pour ou contre.
Or cette voix, actuellement, c’est celle de Joe Manchin.
Le refus actuel de ce sénateur de voter en l’état le plan de
1750 milliards de dollars Build back better (reconstruire en mieux) qui était
le deuxième volet de la politique ambitieuse de Biden avec ses nombreux mesures
sociales et environnementales, est très dommageable pour la présidence de ce
dernier même s’il peut encore faire adopter certaines des mesures que Manchin
affirme accepter ou de prendre ce que l’on appelle des «executive orders», des
décisions que permettent la Constitution en s’appuyant sur des textes déjà
existants.
Mais Joe Manchin, s’il profite de cette situation sciemment,
n’a pas changé.
Il a toujours défendu, en tant que démocrate, une approche
conservatrice des dépenses, et nombre de mesures qu’il rejette, en particulier
en matière environnementales, vient de ce qu’il est un élu d’un Etat qui ne
survit que par l’exploitation de mines de charbon particulièrement polluantes
et contribuant au réchauffement climatique.
Son poste tient parce qu’il demeure un sceptique sur les
politiques progressives et un adversaire des politiques écologiques dès qu’elles
touchent au charbon dans un Etat essentiellement républicain et qui a voté en
masse pour Trump en 2020.
De plus, il s’est toujours dit favorable à ce que les
mesures soient adoptées le plus souvent possible de manière bipartisane même si
cela est de plus en plus difficile, notamment par l’obstruction systématique
des républicains en l’espèce.
Tout cela est connu depuis longtemps.
Dès lors, le fait que le Sénat se retrouve à 50-50 n’est pas
de son fait et encore moins de sa faute.
Et puis, grâce à lui, les démocrates ont pu faire passer
plusieurs textes importants comme celui sur les infrastructures.
Dès lors, l’exclure du parti comme le veulent les tenants de
l’aile la plus à gauche des démocrates serait contre-productif puisque lui
ferait perdre la majorité au Sénat et une erreur politique.
Manchin n’a pas créé cette situation mais il sait que sa
voix compte beaucoup plus que celle d’autres élus d’Etats très importants et il
en joue.
Mais c’est le système qui le lui permet et s’il faut blâmer
quelqu’un ou quelque chose, c’est bien celui-ci et tous ceux qui ont toujours refusé
de le réformer.