Cependant, dans l’imaginaire, c’est le premier qui supplantait largement l’autre depuis toujours, que ce soit aux Etats-Unis même ou dans le monde.
Il y avait toujours cette idée romantique bien relayée par Hollywood et les sitcoms télévisés qu’au bout du compte, le rêve était bien accessible et triomphait presque toujours du cauchemar qui n’était qu’une sorte de dommage collatéral du à un manque de chance ou à un comportement déviant.
Surtout, que ce rêve était une sorte de ciment social et qu’il permettait au pays de ne jamais pencher du côté obscure de sa promesse, c'est-à-dire dans l’affrontement de chacun contre chacun dans le cadre de cette course effrénée au bonheur, dont la recherche personnelle plutôt égocentrique est affirmée dans la Constitution, et non dans une saine émulation qui unissait plus qu’elle ne confrontait, faisant que la réussite individuelle alimentait la bien être collectif.
Bien sûr, les études montrent, à chaque publication de l’une d’entre elles, que la mobilité sociale aux EtatsUnis est très faible depuis longtemps, voire depuis toujours et que le rêve individuel est plutôt une chimère, voire une escroquerie, qui fait miroiter aux pauvres une fausse possibilité de s’élever socialement et, peutêtre, de devenir de faire partie de ces milliardaires célèbres et glamours (disons tout de suite que le rêve américain est plutôt de vivre décemment dans la maison dont on est propriétaire et sans crainte du lendemain avec l’idée que ses enfants seront les dignes héritiers de l’ambition familiale qui est de monter petit à petit les échelons de l’échelle sociale que l’on ne peut gravir qu’à force de travail et de volonté).
Cependant, jusqu’à présent, dans sa dimension collective, il avait plutôt résisté comme un idéal commun, comme une référence qui unissait et rassemblait autour de valeurs fortes où l’effort, l’honnêteté, la droiture et l’amour de la patrie étaient glorifiés.
La présidence Trump a fait voler en éclats cette dernière croyance en étant, à la fois, le déclencheur et l’aboutissement du délitement du lien social et du bien vivre ensemble qui ont été délibérément attaqués avec la volonté d’être détruits par la frange radicale du Parti républicain.
Mais Trump avec ses casseroles débordant de mensonges, de corruptions, d’insultes, d’incompétences, de populismes et d’une fascination pour les régimes autoritaires, n’est que le révélateur de la crise qui était déjà là, plus ou moins larvée mais bien présente.
Le plus préoccupant dans son passage à la Maison blanche est bien le soutien, parfois fanatique, que ses agissements a recueilli auprès d’une large partie de ses concitoyens (plus de 74 millions de vote en sa faveur lors de la présidentielle 2020), déjà chauffés à blanc depuis près de quarante ans par des idéologues réactionnaires qui voient dans la désunion une possibilité de démolir l’organisation administrative du pays, en particulier les services publics tout en créant un régime de dictacratie, à l’instar que ce que l’on voit en Hongrie par exemple, soutenu par cette «Amérique profonde» qu’ils ont rendue populiste, complotiste et intolérante à force de l’avoir manipulée et endoctrinée jusqu’à la nausée (même si le terreau était fertile pour leurs agissements en témoigne les victoires de Reagan et de W. Bush).
Cette situation rappelle celle de l’Allemagne qui, avant le déferlante nazie, était un des pays les plus évolués de la planète avec des intellectuels et des savants de très haut niveau et qui, après le terrible règne hitlérien se réveilla pour ne plus jamais pouvoir être ce qu’elle était auparavant car l’ombre du régime assassin hantera toujours son histoire, un régime qui réussit à amener vers lui une majorité de la population en lui racontant des bobards et en flattant ses plus bas instincts.
Oui, le cauchemar américain est désormais à la hauteur du rêve, faisant basculer irrémédiablement les Etats-Unis dans une nouvelle ère de son histoire quelle que soit l’avenir et le legs de la mouvance populiste qui s’est réunie et cristallisée autour de Trump parce que la tâche est ici indélébile comme celle du pétainisme en France, du franquisme en Espagne ou du fascisme en Italie, liste non limitative malheureusement.
Commence donc une nouvelle ère pour les Etats-Unis, post-Trump mais pas postcauchemar collectif, loin de là, parce que celui-ci va continuer à hanter pendant longtemps la vie politique américaine comme promesse alternative au rêve, voire, par ce mécanisme de permutation déjà vu par le passé, se substituer à ce dernier pour devenir le nouveau paradigme, ce qui serait catastrophique pour la démocratie et pas seulement l’américaine.
Joe Biden va être confronté – et l’est déjà – à cette Amérique crépusculaire et apocalyptique qui se repait jusqu’à plus soif de haine et de violence, d’exclusion et de conflit où l’autre n’est plus le miroir de soi même mais le repoussoir emblématique, qui, si elle n’est pas encore majoritaire, ne cesse de progresser.
Son centrisme, sa volonté de consensus et de compromis, son empathie et son respect de la dignité de l’autre ne seront pas de trop pour inverser le cours d’une histoire qui semble déjà écrite.
Reste qu’un pays qui a élu et réélu Barack Obama et qui a donné une majorité de voix à Hillary Clinton possède aussi la capacité de réagir à cette menace qui est tout sauf virtuelle.
Parce que ce rêve américain, même s'il a toujours été largement hypothétique, recèle une espérance qui vaut le coup de se battre pour qu'il devienne réalité.
Parce que refuser le cauchemar est aussi la promesse de cette idée qui s’appelle Etats-Unis.