Au moment où l’épidémie de la covid19, comme un symbole,
vient de Chine et frappe en intensité d’abord les Etats-Unis, on parle souvent
de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, de la guerre
économique ou financière, voire de la guerre tout court que les deux pays
pourraient se livrer dans un avenir plus ou moins proche.
Mais on parle peu de la guerre des «rêves».
Or, ce combat pourrait s’avérer, si ce n’est plus important
que les autres, en tout cas aussi crucial pour l’avenir des deux pays mais
aussi pour l’Humanité entière.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, une remarque: il ne
s’agit pas ici d’opposer deux hommes mégalomanes qui sont en train de détruire
la liberté, Xi Jinping et Donald Trump.
Si le premier est le principal promoteur du rêve chinois, il
n’en est pas le seul créateur, ni même, in fine, le dépositaire.
Quant au second, s’il est sans doute un bénéficiaire d’une
des interprétations du rêve américain, ses faits et gestes ne traduisent en
rien ce que ce concept représente ou devrait représenter.
L’opposition n’est pas, non plus, entre deux cultures, l’une
qui serait «holistique», la chinoise, et l’autre qui serait «individualiste»,
l’américaine car, non seulement, cette distinction est largement fausse mais
elle n’est pas le fondement entre les deux «rêves» comme ne l’est pas ce
fantasme répétitif et lassant qui voudrait que les Chinois ne seraient pas fait
pour la démocratie – les Hongkongais et les Taïwanais ont fait un sort
définitif à cette stupidité – ou, cet autre, qui affirme que les Américains
seraient les défenseurs intransigeants et absolus de la liberté.
Rappelons succinctement ce que sont ces deux rêves.
A tout seigneur, tout honneur, le fameux «rêve américain»,
terme inventé en 1931 par l’historien James Adams Truslow, dans son livre
«L’épopée de l’Amérique» («The Epic of America»).
Ce rêve demeure le concept le
plus emblématique de ce que recouvrent les Etats-Unis à la fois comme pays,
comme nation et comme idéal.
Des premiers pèlerins qui
accostèrent sur les côtes du Massachussetts au XVII° siècle aux illégaux
sud-américains qui traversent quotidiennement la frontière entre le Mexique et
les Etats-Unis en passant par tous les Européens qui débarquèrent à Ellis
Island, tous ceux qui ont décidé un jour de partir vers cette terre promise
moderne le recherchaient.
Comme cela reste le cas de tous
les Américains d’aujourd’hui, descendants des uns et des autres.
On peut le qualifier
lapidairement par la formule «avoir une vie meilleure».
C’est à la fois concis et précis
mais ne donne aucunement la dimension multiple qu’il a toujours eue.
On peut même affirmer que chacun
des Américains, plus, chacun de nous, habitants de la planète, a son propre
«rêve américain».
Ce qui fait qu’il est «américain»
depuis plus de deux siècles, vient de cette croyance qu’il est possible de le
réaliser aux Etats-Unis et pas ailleurs, ce pays où même la Constitution
reconnaît à tout citoyen le droit à «la poursuite du bonheur».
Passons au rêve chinois créé à l’orée du XXI° siècle et qui,
selon une définition donnée par l’agence de presse officielle du Parti
communiste chinois Xinhua, est de faire de la Chine «une nation socialiste
moderne, prospère, puissante, démocratique, culturellement avancée et harmonieuse».
Et Xinhua, pour expliquer tout
l’intérêt stratégique de ce «rêve» cite Kim Jin Ho, un universitaire
Sud-coréen, qui déclare qu’«une nation sans rêve ne pourra pas survivre dans la
compétition entre toutes les nations de la Terre. Si la Chine veut faire la
différence (...), elle se doit d'avoir un rêve et de le poursuivre sans
relâche».
Ce qui est intéressant dans la
définition de ce rêve, c’est qu’il est avant tout celui d’une entité, la
«nation» qui retentira alors sur chaque Chinois ce qui s’oppose diamétralement
au «rêve américain» qui est avant tout individuel et qui, collectivement, n’est
que la somme des rêves de chaque individu, c’est-à-dire la réussite de sa vie,
à la fois, spirituellement, intellectuellement et matériellement.
Un rêve vient donc d’en haut (le
chinois) et l’autre d’en bas (l’américain) si l’on veut schématiser.
Plus profondément, c’est bien
l’Etat chinois qui est le pourvoyeur du rêve alors que l’Etat américain n’en
est que le facilitateur.
D’un côté, une vision holistique
du rêve, de l’autre une recherche personnelle.
Bien entendu, pour que le «rêve
américain» puisse se réaliser, il faut comme condition préalable, l’existence
d’une démocratie libérale qui garantit la liberté à chacun.
En revanche, le «rêve chinois»
n’a guère besoin de cette liberté, sa caractéristique première étant de créer
une société «harmonieuse» par le socialisme scientifique, c’est-à-dire par une
voie unique à laquelle chacun doit se plier.
Au-delà de cette différence
fondamentale de l’essence même de ces deux rêves, il faut aussi savoir quel est
celui qui est le plus capable de rendre heureux chaque individu ainsi que le
peuple.
Même si la notion de «bonheur»
est difficile à apprécier (chacun en a une définition propre et l’état de bonheur
est très difficile à établir sur la durée), force est de reconnaître que les
deux rêves ne le produisent pas forcément.
Aux Etats-Unis, il est de plus en
plus difficile de s’élever socialement et beaucoup n’ont pas la possibilité de
se réaliser grâce à leurs capacités.
L’ascenseur social est largement
en panne depuis des décennies comme le montrent toutes les études sur le sujet.
En Chine, si une classe moyenne a
émergé ces vingt dernières années, il y a eu aussi l’avènement d’une caste de
super-riches qui, pour la plupart, ont réussi, non pas avant tout grâce à leurs
talents, mais essentiellement par les prébendes et la corruption alors que la
majorité de la population continue à vivre dans la pauvreté avec peu de chances
de s’élever socialement.
Dans les deux pays, le rêve
demeure donc plus une chimère qu’un but atteignable pour la majorité de la
population.
Néanmoins, certains y parviennent
aux Etats-Unis et en Chine grâce à leurs capacités et leurs talents.
Pour autant, les Américains qui
réalisent leurs rêves le font libres et sans l’angoisse qu’un système coercitif
remettent en cause leur réussite.
En revanche, en Chine, beaucoup
de ceux qui s’en sortent le font en évitant de s’occuper de tâches qui fâchent
et leurs réussites restent à la merci d’une décision arbitraire de
l’administration et/ou du pouvoir politique.
C’est d’ailleurs pourquoi ceux
qui réussissent le mieux – mais plus seulement – sont ceux qui, aujourd’hui,
s’expatrient de plus en plus à l’étranger, en Europe, en Australie et ailleurs.
Et les plus riches d’entre eux ne
rêvent que de s’installer aux Etats-Unis.
La réciproque, elle, n’est pas
d’actualité: peu de milliardaires américains pensent s’établir en Chine.
Là, peut-être, est ce qui
caractérise le mieux la différence entre les deux rêves…
Pourquoi donc le rêve chinois
pourrait, dans un avenir proche, supplanter le rêve américain?
Tout simplement parce qu’il est issu d’un pays qui est en
passe de devenir la première puissance économique et qui pourrait également
devenir la plus grande puissance militaire.
Cette réussite qui ne devrait fondamentalement pas être
remise en question avec la crise de la covid19 (il se peut même qu’elle le
booste) est, pour beaucoup de pays ou d’individus, un modèle à copier.
Mais, dans sa volonté de dominer le monde, la Chine peut
tenter de l’imposer, ou par la force (dans sa zone d’influence rapprochée), ou
par le biais d’une emprise économique (avec une pression sur les Etats pour
qu’ils s’inspirent du régime communiste de Pékin ou, tout simplement, qu’ils ne
soient pas regardant sur son fonctionnement totalitaire).
En outre, dans un monde où les extrémismes et les populismes
sont des alliés objectifs de la Chine contre la démocratie républicaine, il
existe un terreau pour que le «modèle chinois» supplante le «modèle étasunien»
dans les pays en développement mais aussi dans les pays avancés.
Dès lors, le rêve chinois qui est un véhicule à ce modèle
deviendrait la référence du bonheur à atteindre face à un rêve américain
ringardisé et de moins en moins séduisant.
Il suffit de constater l’admiration de certains pour
l’«efficacité» du régime chinois et de sa prétendue capacité à instaurer
l’«harmonie» – un des termes préférés de la propagande chinoise – dans la société.
Deux mensonges qui sont pourtant largement répandus dans les
populations en dehors de la Chine.
En réalité, le modèle chinois est un ennemi qu’il faut
combattre sans relâche et le rêve chinois représente un danger mortel pour les
démocraties.
On le voit actuellement avec la volonté des communistes de
Pékin de vouloir profiter de la crise de la covid19 pour étendre leur sphère d’influence
sans aucune dignité – ils sont bien responsables d’une gestion catastrophique
qui a transformé une épidémie locale en pandémie mondiale – mais également pour
éteindre les dernières lumières de la démocratie dans le pays, notamment à
Hongkong où une reprise en main violente est en cours.
Sans même parler des velléités de faire enfin plier Taïwan.
Cependant, on se tromperait en n’y voyant qu’une simple
opportunité.
Il ne s’agit que d’une accélération d’un agenda maintes fois
répété, publié et poursuivi.
Comme le dit Xinhua ce «renouveau de la nation chinoise sera
certainement réalisé lorsque la nouvelle Chine célèbrera son centenaire»,
c’est-à-dire le 1er octobre 2049.
La covid19 est sans doute en train de permettre d’écourter ce
délai pendant que de l’autre côté du Pacifique s’éteint le phare de la liberté
avec comme principal démolisseur, le vandale Donald Trump.
Les défenseurs du monde libre seraient bien inspirés
d’entrer en résistance le plus vite possible avant qu’un régime totalitaire
leur impose leurs songes, ce à quoi ils doivent rêver et non plus ce à quoi ils
désiraient rêver.
C’est toute la différence entre un cauchemar et un rêve.
Alexandre Vatimbella