Comme si la liberté inquiétait de par l’éventail de ses
possibilités et que la servitude rassurait de par l’indication d’une seule et
simpliste vérité à suivre.
Comme si l’individu préférait que l’on flatte ses défauts
plutôt que d’encourager ses qualités à s’exprimer.
Comme si le peuple préférait croire aux mensonges pour ne
pas se confronter à la réalité.
Comme si le refus d’une éthique était tellement plus
reposant que la responsabilité.
Dans le même temps, il faut constamment rappeler aux
populations des démocraties républicaines que le régime de la liberté n’est pas
«naturel», au sens où la liberté dans la sécurité n’est pas l’état naturel des
êtres humains.
Et si le libéralisme a parlé de «droits naturels» notamment
à propos de la liberté, il s’agit d’affirmer que comme tout individu est égal à
un autre à sa naissance, il possède des droits constitutifs de celle-ci que la
société doit lui garantir.
Mais, sans cette garantie, ces «droits naturels» n’existent
évidemment pas et c’est la loi du plus fort qui est alors la règle,
c’est-à-dire la vraie loi naturelle (plus fort ne voulant pas forcément
signifier le plus fort physiquement mais celui qui est capable de dominer
l’autre, ce qui peut se faire également par la ruse).
Dans ce cadre, la démocratie ne résiste pas toujours à
l’arrivée au pouvoir d’un individu aux tendances autocratiques et populistes.
Et ce n’est pas la première fois que cela se passe avec
Donald Trump.
Ce ne sera sans doute pas la dernière fois, non plus, qu’un
tel populiste extrémiste et démagogue parvient au sommet dans une démocratie,
profitant du système pour se faire élire.
Mais le choc «Trump», s’il doit être replacé dans cette
perspective historique de long terme où le peuple acclame des Boulanger, des
Hitler, des Mussolini, des Peron, il doit aussi être analysé sur une période
plus courte qui part de la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu’à nos jours.
Plus particulièrement de cette résurgence dans les
démocraties du populisme et de l’extrémisme de droite (celui de gauche ayant
échappé au purgatoire parce qu’il ne fut pas considéré comme complice de la
boucherie nazie alors même que Staline massacrait son peuple à la même époque).
Ainsi, de l’Allemagne à l’Italie en passant par le Japon
mais aussi la Hongrie, le Portugal et l’Espagne, le moment fasciste qui
s’effondra alors partout sauf à Madrid et Lisbonne, fut un vaccin important
contre l’extrême-droite pendant vingt à trente ans dans les pays démocratiques
avec, dans les années 1970 les disparitions de Franco et de Salazar qui permirent
l’éclosion de la démocratie dans la péninsule ibérique.
Ce reflux fasciste fut aidé par une conjoncture économique
et sociale particulièrement positive pendant ces trois décennies qui suivirent
la fin de la guerre.
Certains ont pu penser et théoriser alors la victoire finale
de la démocratie républicaine face aux forces fascistes.
Puis, la mort de Mao puis la chute de l’empire soviétique a
permis aux mêmes de penser et théoriser la victoire finale de la démocratie
républicaine dans le monde entier et pour toujours face aux régimes
autoritaires et totalitaires (sans être, reconnaissons-le, dans une innocence
ingénue pour autant car ne cachant pas les nombreux dysfonctionnements des
sociétés occidentales).
C’est cette fameuse «fin de l’Histoire» dont a parlé Francis
Fukuyama, qui ne signifiait nullement qu’il n’y aurait plus de marche vers le
progrès ou des conflits entre les humains, voire l’effondrement de
civilisations, mais simplement qu’il semblait bien que les peuples avaient
finalement choisi la démocratie contre la servitude.
Force est de constater que ce ne fut pas le cas et que ce
n’est pas le cas, la tentation totalitaire et populiste existe ainsi dans une
partie importante de la population et dans chaque pays même si elle est
d’importance différente.
Le retour d’un régime fort en Russie et en Turquie en
témoigne.
Et nous revoilà dans ce moment charnière où elle risque de
remettre au pouvoir des personnages douteux et dangereux, véritables
aventuriers de la politique dans les démocraties.
Trump est de cette trempe mais comme l’est Poutine,
Kaczynski, Duterte, Orban, Erdogan, etc., tous des personnages dangereux élus
par leurs peuples (avec plus ou moins de fraude).
Bien sûr, l’élection du président américain est d’une autre
dimension parce qu’il s’agit de la plus grande démocratie du monde qui, depuis
sa création à la fin du XVIII° siècle a toujours tenu des élections en date et
en heure et n’a jamais reniée ses valeurs et ses principes.
La question fondamentale est évidemment de savoir comment
empêcher l’élection d’un Trump dans le futur dans une démocratie?
Il y a, évidemment, la formation d’un citoyen détenteur d’un
savoir suffisant et suffisamment informé pour ne pas tomber dans le piège d’un
tel personnage et de sa rhétorique.
Mais, force est de reconnaître, que près de deux siècles et
demi de démocratie aux Etats-Unis n’ont pas permis de faire émerger de manière
ultra-majoritaire un tel citoyen, empêchant la menace de se concrétiser.
Alors, en attenant que cela survienne, que peut faire la
démocratie républicaine?
Doit-elle se protéger en allant contre ses principes et ses
valeurs?
Pas forcément comme beaucoup le veulent et d’autres le
craignent.
Car empêcher que ceux qui veulent détruire un système qui
garantie la dignité et le respect de la personne est une des tâches
essentielles de la démocratie républicaine et non un renoncement à ce qu’elle
est.
Dès lors, elle doit pouvoir empêcher légalement qu’un Trump,
un Orban, un Erdogan, une Le Pen parviennent au pouvoir (mais aussi de se
protéger de toutes les idéologies politiques et religieuses totalitaires).
Sur quelle base s’appuie cette thèse qui fait se hérisser de
nombreux soi-disant défenseurs de la démocratie, prêts à la voir disparaître
plutôt que de la voir se défendre efficacement?
Sur celle que la démocratie républicaine, à l’inverse d’une
idée reçue, n’est pas le régime de la majorité mais bien celui de la garantie
des droits de tous et de la minorité.
Sur celle que la démocratie doit garantir la liberté ce qui
impose qu’elle ne permette pas à ceux qui veulent la supprimer de gouverner.
Explications.
Si c’est bien la majorité qui a le pouvoir et qui peut
décider l’orientation d’un pays démocratique, elle ne peut en aucun cas
remettre en cause les fondements démocratiques de celui-ci, c’est-à-dire la
liberté de l’individu et les droits qui s’y attachent.
Dès lors, même si tout un peuple sauf un des ses membres
voulait supprimer la liberté dans son pays, il n’en aurait pas le droit au nom
de la liberté de celui-ci.
Mais même si tout le peuple, unanimement, voulait le faire,
il n’en aurait pas le droit au nom de la liberté des générations futures.
C’est en cela que l’être humain nait libre et que la liberté
et un droit «naturel».
De même, comme le disait Saint-Just mais avec une
signification quelque peu différente, il ne peut y avoir de liberté pour les
ennemis de la liberté.
Car ceux qui prétendent que la démocratie qui interdit à ses
adversaires d’agir sans aucune restriction n’est pas digne de vivre car elle
tourne le dos à ses principes, ont tout faux.
Car, comme je l’expliquais plus haut, si la dignité et le
respect de la personne humaine ne peut se faire sans la liberté, celle-ci ne
peut pas vivre sans être protégée.
Dès lors, interdire à ceux qui veulent l’abolir d’agir en ce
sens, est une de ses missions.
Pour en revenir à Trump au moment où celui-ci vient de fêter
la première année de son mandat (avec, à la clé, un «shutdown», fermeture des
services publics faute de majorité au Congrès pour voter un budget ou des
autorisations budgétaires limitées, ce qui caractérise bien la faillite du
président américain!), le combat continue, évidemment.
Beaucoup s’étonnent de ce que malgré tous ses mensonges, ses
renoncements, ses échecs, ses grossièretés, ses insultes et son incompétence,
il ait encore un taux d’environ 35% d’approbation dans les sondages.
Le Washington Post, par exemple, a recensé 2000 fausses
informations ou informations biaisées délivrées par la Maison blanche en un an…
Mais quoi d’étonnant puisqu’il a obtenu 46% des voix en
2016, que Marine Le Pen en a obtenu 34% à la présidentielle de 2017, qu’Hitler
en a obtenu 36,7% à la présidentielle de 1932 et que le parti nazi est arrivé
en tête aux législatives la même année avec 33,09% des voix.
Concernant l’Allemagne qui sait qu’un sondage réalisé en
1947, deux ans après l’effondrement d’un des pires régimes de l’Histoire, 55%
des Allemands de la zone d’occupation américaine estimaient que le nazisme
était une «bonne idée mal appliquée»…
Donc, il bénéficiera toujours d’une «base» plus ou moins
solide et qui ne se détachera de lui qu’au dernier moment et pour un événement
particulièrement grave.
Et encore…
Bien sûr, comme nous l’avons vu, l’élection de Trump n’est
pas la première fois que la démocratie est face à ces contradictions et ses faiblesses.
Régime permettant à ceux qui veulent l’abattre de pouvoir
prendre le pouvoir légalement, elle a, dans le passé et le présent, permis
l’élection de ses ennemis (Hitler), de populistes (Jackson), d’incompétents.
Et quand les pro-Trump s’exclament au bout d’un an de
présidence de leur héros, «Vous voyez bien que les Etats-Unis sont encore une
démocratie», ses opposants répondent qu’elle n’a jamais été aussi faible et en
danger, rejoints en cela par de nombreux travaux de spécialistes des sciences
politiques.
Ces dernières semaines devant les comportements et les
déclarations de Donald Trump et après une année de pouvoir, les observateurs et
les commentateurs aux Etats-Unis se sont demandé s’il était mentalement
dérangé, intellectuellement limité, incompétent, dangereux ou moralement
abject, la réponse est conteste: il est les cinq en même temps!
Ainsi, l’homme qui ne mange que des cheeseburgers de
McDonald’s pour éviter d’être empoisonné, qui arrête de travailler à 18h tous
les jours, qui ne lit aucun rapport mais prend ses informations pour gouverner
sur la chaîne de «fake news» et d’extrême-droite, Fox News, qui s’autoproclame
«génie très équilibré» («genius very stable»), qui affirme qu’il est le plus
grand créateur d’emplois que Dieu ait jamais créé et qu’il a rendu sa grandeur
à l’Amérique («make America great again») mais aussi qu’il est l’homme
providentiel qui vient de réconcilier les deux Corées et qui ne veut pas
d’immigrants de «pays de merde» («shithole countries») africain et d’Haïti,
démontre à longueur de temps sa nocuité à tous les points de vue.
In fine, la présidence Trump va causer beaucoup de dommages
aux Etats-Unis ainsi qu’à la démocratie.
Mais est-elle, comme certains le pensent, une menace pour
l’existence même de la démocratie dans le monde et, subsidiairement, le
marchepied qui va permettre au rêve chinois de supplanter le rêve américain?
Un cauchemar que tous les démocrates, dont les centristes,
veulent éviter à tout prix.
Alexandre Vatimbella