Michael Bloomberg, centriste et ancien maire de New York, a
officiellement renoncé à se présenter à la présidence des Etats-Unis le 8
novembre prochain en tant qu’indépendant.
Le milliardaire qui a fait fortune en créant lui-même son
empire de médias financiers, souhaitait depuis de nombreuses années concourir à
la présidentielle.
Déjà, en 2007, il avait mené des tests pour savoir s’il
avait une chance de l’emporter.
Même si cette année, à 74 ans, il avait moins d’appétence
pour une campagne électorale, lui qui avait repris directement la direction de
son entreprise l’année dernière, la volonté de barrer la route à la Maison
blanche aux populistes Donald Trump et Bernie Sanders ou à l’extrémiste Ted
Cruz lui avait fait envisager très sérieusement de se présenter.
Il avait commencé à élaborer son plan de bataille, fait
réaliser des études et des tests notamment au Texas et en Floride, choisi son
équipe de campagne, trouver ses slogans et logos et même trouver son éventuel
vice-président.
Il avait prévu de consacrer un milliard de dollars de sa
fortune personnelle à cette campagne et de refuser tous les dons et
financements extérieurs pour demeurer le plus indépendant possible de tous les
intérêts particuliers.
Les sondages qu’il avait faits réalisés ainsi que les
projections en nombre de grands électeurs qu’il pourrait avoir étaient assez
encourageants même s’il ne lui donnaient pas un avantage sûr et certain.
C’est une des raisons de son renoncement mais pas le
principal.
Car, pour l’emporter mais aussi pour légitimer sa
candidature, il fallait que le duel républicain-démocrate oppose Trump ou Cruz
à Sanders.
Or, selon toute vraisemblance, celui-ci aura pour acteurs Donald
Trump du côté républicain (à moins d’une cabale réussie par l’establishment
contre le promoteur immobilier) et Hillary Clinton, une centriste.
Dès lors, la candidature de Bloomberg risquait de faire
doublon avec celle de Clinton, surtout et principalement, de diviser les voix
des modérés et des centristes et de permettre à Trump de l’emporter.
Pour annoncer sa non-candidature, Bloomberg a signé cette
tribune sur le site d’opinions de son empire médiatique, intitulée «The risk I
will not take», le risque que je ne prendrai pas (lire celle-ci en version
originale ici):
«Les Américains sont aujourd'hui face à un défi profond afin
de préserver nos valeurs communes et la promesse de la nation.
La stagnation des salaires dans le pays et notre influence
en déclin à l'étranger ont mis les Américains en colère et mes rendent
frustrés. Et pourtant, à Washington, on ne propose rien d'autre que le blocage
des institutions et des attaques partisanes.
Pire encore, les candidats présidentiels actuels désignent
des boucs émissaires au lieu de proposer des solutions, et font des promesses
qu’ils ne pourront finalement pas tenir. Plutôt que d'expliquer comment ils
vont briser la fièvre partisane qui paralyse Washington, ils en rajoutent sur ses
dysfonctionnements.
Au cours de l'histoire américaine, les deux partis ont eu
tendance à désigner des candidats présidentiels qui restaient proches du Centre
et construisaient à partir de celui-ci. Mais cette tradition est en panne. L’extrémisme
est en marche, et à moins que nous le stoppions, nos problèmes à l’intérieur et
à l'extérieur du pays vont empirer.
Beaucoup d'Américains sont évidemment consternés par cela,
et je partage leurs préoccupations. Les candidats démocrates en tête des
primaires ont attaqué les politiques qui ont stimulé la croissance et les
opportunités sous la présidence de Bill Clinton – soutien pour le commerce,
écoles privées sous contrat, réduction du déficit et le secteur financier. Pendant
ce temps, les principaux candidats républicains ont attaqué les politiques qui
ont stimulé la croissance et les opportunités sous la présidence de Ronald
Reagan, y compris la réforme de l'immigration, le compromis sur les impôts et
la réforme du droit, ainsi que le soutien aux budgets bipartisans. Les deux
présidents étaient des résolveurs de problèmes, et non des puristes
idéologiques. Et tous les deux ont permis au pays d’aller de l’avant de façon
importante.
Au cours des derniers mois, de nombreux Américains m’ont
poussé à me présenter à l'élection présidentielle comme indépendant, et
certains qui n'aiment pas les candidats actuels ont dit qu'il est de mon devoir
patriotique de le faire. Je les remercie de leurs appels, et j'ai réfléchi
sérieusement à cette question. La date limite pour y répondre est venue, en
raison des conditions d'accès à la présidentielle.
Mes parents m'ont appris l'importance de redonner ce que
l’on a reçu et le service public a été une partie importante de ma vie. Après
12 ans en tant que maire de New York City, je connais les sacrifices personnels
que les campagnes électorales et les fonctions d’élus exigent, et je serais
heureux de rendre service à nouveau afin d'aider le pays que j'aime.
J’ai toujours été attiré par des défis impossibles, et aucun
d'aujourd'hui n’est plus important que la fin de la guerre partisane à
Washington et de gouverner pour le peuple américain – et non pas pour les
lobbyistes et les donateurs des campagnes électorales. Pour faire ce
changement, il faudrait élire des dirigeants qui sont plus axés sur l'obtention
de résultats que de gagner leur réélection, qui ont l'expérience dans la
création de petites entreprises et la création d'emplois, qui savent comment
équilibrer les budgets et gérer les grandes organisations, qui ne sont pas
redevables à des intérêts particuliers – et qui sont toujours honnêtes vis-à-vis
du peuple. Je suis flatté que certains pensent que je pourrais fournir ce genre
de leadership.
Mais quand je regarde les données, il est clair pour moi que
si j’entre dans la course, je ne pourrais pas gagner. Je crois que je pourrais
gagner un certain nombre d’Etats – mais pas assez pour gagner les 270 votes du
collège électoral nécessaires pour remporter la présidence.
Dans une course à trois, il est peu probable qu’un candidat
gagnerait la majorité des voix électorales, dès lors le pouvoir de choisir le
président serait retiré des mains du peuple américain et donné au Congrès. Le
fait est, même si je devais recevoir le plus grand nombre de votes populaires
et avoir le plus grand nombre de grands électeurs, la victoire serait peu
probable, parce que la plupart des membres du Congrès voteraient pour le
candidat de leur parti. Les loyalistes du parti majoritaire au Congrès – et non
le peuple américain ou le collège électoral – détermineront alors le prochain
président.
Actuellement, avec les républicains en charge des deux
chambres, il y a de bonnes chances que ma candidature conduisent à l'élection
de Donald Trump ou à celle du sénateur Ted Cruz. C’est un risque que je ne peux
pas prendre en bonne conscience.
Je connais M. Trump depuis de nombreuses années, et nous
avons toujours été en bons termes. J'ai même accepté de figurer dans son
émission ‘The Apprentice’ deux fois. Mais il mène la campagne présidentielle la
plus clivée et la plus démagogique que
j’ai jamais vue, surfant sur les préjugés et les craintes des gens. Abraham
Lincoln, le père du Parti républicain, avait fait appel à nos ‘meilleurs anges’.
Trump fait appel à nos pires impulsions.
Menacer d’empêcher les musulmans d'entrer dans le pays est
une attaque directe sur deux des valeurs fondamentales qui ont donné lieu à
notre nation: la tolérance religieuse et la séparation de l'Église et de
l'État. Promettre d'expulser des millions de Mexicains, feindre d’ignorer l’existence
des suprémacistes de la race blanche, menacer la Chine et le Japon d’une guerre
commerciale, tout cela est dangereusement mauvais. Ces mesures nous diviseraient
et compromettraient notre leadership moral dans le monde entier. Le résultat
final enhardirait nos ennemis, menacerait la sécurité de nos alliés, et mettrait
nos propres hommes et femmes qui portent l’uniforme face à un risque accru.
La démagogie du sénateur Cruz sur l'immigration n’a peut
être pas l'excès rhétorique de Trump, mais elle n’en est pas moins extrême. Son
refus de s’opposer à l'interdiction des étrangers en fonction de leur religion
peut être moins emphatique que la position de Trump, mais il n’en crée pas
moins des divisions.
Nous ne pouvons pas ‘faire grande l'Amérique à nouveau’ en
tournant le dos aux valeurs qui ont fait de nous la plus grande nation du monde.
J'aime trop notre pays pour jouer un rôle dans l'élection d'un candidat qui
affaiblirait notre unité et assombrirait notre avenir – et je ne vais donc pas
entrer dans la course à la présidence des États-Unis.
Cependant, je ne resterai pas silencieux sur la menace que
l'extrémisme partisan fait peser à notre nation. Je ne suis pas prêt à soutenir
un candidat, mais je vais continuer à encourager tous les électeurs à rejeter
les appels à la division en exigeant que les candidats offrent des idées
intelligentes, spécifiques et réalistes pour réduire les fractures et résoudre
les problèmes, et gouvernent de manière honnête et capable.
Pour la plupart des Américains, la citoyenneté nécessite un
peu plus que de payer des impôts. Mais beaucoup ont donné leur vie pour
défendre notre nation – et nous avons tous une obligation comme électeurs de défendre
les idées et les principes qui, comme l'a dit Lincoln, représentent ‘le dernier
espoir de la terre’.
J’espère et je prie d’agir ainsi.»
Alexandre Vatimbella
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