De Platon et Aristote aux Pères fondateurs des Etats-Unis
(Jefferson, Adams, Hamilton) et au théoricien de la Révolution française,
l’abbé Sieyès, en passant par Bodin et Hobbes, Locke et Montesquieu, les
philosophes et penseurs politiques se méfient des passions populaires.
C’est la raison pour laquelle ils se méfiaient corollairement
de la démocratie, l’originale dont parle l’Antiquité grecque, celle où le
peuple gouverne et décide directement, celui où il légifère et exécute en même
temps.
On pensait avoir trouvé la solution la plus sage avec la construction
intellectuelle de la démocratie représentative, avec Sieyès, Kant et quelques
autres dans une articulation où le vouloir et le pouvoir n’étaient pas
interdépendants mais aussi, bien sûr, avec les débuts prometteurs de la
république des Etats-Unis d’Amérique où les Pères fondateurs avaient imaginé un
système où les pouvoirs se bloquaient entre eux afin d’éviter que la majorité
ne devienne tyrannique afin de protéger la minorité, car la démocratie
républicaine s’apprécie aussi et surtout à l’aune des droits de la minorité.
Comme le résume fort bien Albert Camus, «La démocratie, ce
n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.»
La Révolution française, dans un premier temps, avait voulu
s’inscrire dans une telle démarche avant qu’elle ne dérape, en partie, par ces
passions populaires dévastatrices.
Car c’était sans compter sur les populistes et les
démagogues qui s’adaptèrent dès le départ fort bien à ce nouveau système pour
demander au peuple de les élire en leur promettant le beurre et l’argent du
beurre dans des discours enflammés et agressifs, voire plus.
Mais l’on croyait tout de même que le populisme
disparaitrait au fur et à mesure que la démocratie s’installe et mûrisse avec des
peuples qui, petit à petit, grâce à l’éducation, à l’information et au progrès
social et technique, s’approprient le fameux couple liberté-responsabilité afin
que tout cela aboutisse à un gouvernement harmonieux et raisonnable, ce fameux
juste milieu de Confucius, cette fameuse médéité d’Aristote.
On avait oublié, même si Tocqueville nous l’avait expliqué
avant d’être un peu oublié puis justement redécouvert, que la démocratie est
moins une question de liberté pour le peuple que d’égalité et que l’équilibre
fondamental liberté-égalité penche le plus souvent vers une demande populaire
d’égalité au détriment de la liberté, ce que nous disaient déjà Platon.
Ainsi, en ce début de XXI° siècle, la démocratie
républicaine représentative se trouve toujours à la merci du populisme comme
elle l’était au temps d’Athènes.
Que ce soit en Amérique du Sud avec les Chavez (Venezuela),
Morales (Bolivie), Kirchner (Argentine), ou en Europe avec les Orban (Hongrie)
ou les Tsipras (Grèce), les populistes sont ou ont été au pouvoir pour le plus
grand malheur de leurs peuples qui les avaient choisis démocratiquement.
Certains ont coulé l’économie de leurs pays, d’autres n’ont
pas été capables de les sortir de leurs difficultés qui les avaient portés au
pouvoir.
Sans parler des limitations de la liberté, les bouc
émissaires et les relents de xénophobie où toutes les difficultés viennent
évidemment des autres ou d’ailleurs, de ces ennemis extérieurs et de leurs
relais intérieurs.
Et l’on a vu fleurir ces dernières décennies avec une
accélération récente, un peu partout, sur le même principe et avec les mêmes
discours, des organisations populistes plus ou moins extrémistes comme Podémos
(Espagne), le Mouvement cinq étoiles (Italie), le Front national et le Front de
gauche (France), Ukip (Grande Bretagne) Pegida et l’AFD (Allemagne) ainsi que
des hommes qui surfent sur cette vague comme Donald Trump et Bernie Sanders aux
Etats-Unis.
En cette année 2016, le populisme, la démagogie et
l’extrémisme se sont à nouveau coalisés pour attaquer les fondements, les
principes et les valeurs de la démocratie républicaine comme une sorte de
retour en arrière mécanique qui fait parfois douter que les peuples aient
jamais appris quoi que ce soit, ni même qu’ils aient ouvert un livre
d’Histoire.
Il est fort possible que le populisme et la démagogie soient
éternels.
Il est même, fort possible, que ce soit également mais pas
seulement, une résultante de la démocratie républicaine qui permet aux
passions, aux intérêts personnels et aux frustrations, légitimes ou non, de
s’exprimer dans la rue et dans le bulletin de vote, de voir des aventuriers
s’en emparer et nombre d’individus leur faire confiance.
Cela n’empêche pas qu’il faut une lutte résolue et sans
concession de la part des vrais démocrates et des vrais républicains contre ces
deux tares, ces deux dangers qui ont produit et produisent tant de catastrophes
au cours des siècles et particulièrement au XX° siècle même si le XXI° est
malheureusement en train de suivre son prédécesseur en la matière.
Et le Centre doit être au cœur de cette résistance au
populisme au nom de ses valeurs humanistes, au nom de son principe de juste
équilibre, au nom de sa défense de la liberté.
Les partis centristes se doivent d’être en première ligne
pour défendre la démocratie républicaine.
Car, si Winston Churchill disait «Le meilleur argument
contre la démocratie est fourni par une conversation de cinq minutes avec
l'électeur moyen», il affirmait dans le même temps, «La démocratie est le pire
des régimes – à l'exception de tous les autres déjà essayés dans le passé».
Alexandre Vatimbella
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