Alors que se profilent, en novembre prochain, les élections
de «mi-mandat» qui renouvelleront entièrement la Chambre des représentants et
un tiers des sénateurs mais que, également, nous ne sommes plus qu’à deux ans
de la prochaine élection présidentielle, c’est-à-dire, en terme de temps
politique qui s’est accéléré dans tous les démocraties (et encore plus aux
Etats-Unis), demain, quelle est la situation du Centre et des centrismes
américains?
Elle est pour le moins paradoxale.
Le président actuel, Barack Obama, est un centriste assumé
et la favorite (non encore déclarée) pour la présidentielle de 2016 est Hillary
Clinton, tout autant une centriste assumée, elle qui fait actuellement
l’actualité avec la sortie de ses mémoires («Hard Choices») sur son passage au
département d’Etat lors du premier mandat d’Obama.
Tous deux sont, par ailleurs, des membres du Parti
démocrate.
Mais, dans le même temps la Chambre des représentants est
dominée depuis 2010 par la droite du Parti républicain (même si les démocrates
ont obtenu plus de voix aux dernières élections mais que le «charcutage» des
circonscriptions avantage les républicains) et cette dernière, selon toute
vraisemblance, devrait encore y être aux commandes après les prochaines
élections.
Quant au Sénat, il risque de passer sous domination de cette
même droite républicaine.
Dans cet étonnant paradoxe, les idées centristes ont été
durement attaquées ces deux dernières années.
Par la gauche (les «liberals» du Parti démocrate) qui ne
voient là que des thèses de droite un peu plus modérées.
Par la droite (la droite dure et, surtout, la droite
radicale ainsi que l’extrême-droite, le fameux Tea Party, toutes réunies sous
la bannière républicaine) qui ne voient là que des thèses «socialistes», voire
«communistes».
Le tout dans un pays qui connait, comme tous les démocraties
occidentales, une montée de l’individualisme et de son aspect négatif et
néfaste, l’autonomisation individuelle égocentrique, irresponsable et
irrespectueuse de l’individu que j’ai eu l’occasion de détailler dans «Le
Centrisme du XXI° siècle» (*) et qui est un des dangers principaux que doit
affronter la démocratie républicaine dans les décennies à venir.
Ce qui fait qu’il est très difficile de trouver des
consensus réels dans la population, chacun défendant avant tout son intérêt et
ne se satisfaisant pas de compromis comme ce fut plus souvent le cas entre 1945
et 1980, jusqu’à l’élection de Ronald Reagan (même si l’époque dorée souvent
évoquée par certains n’a jamais existé et que les affrontements
républicains-démocrates ont pu être durs à certains moments au cours de cette
période).
Prenons l’exemple des soins de santé. Une majorité des
Américains demeurent opposés à la réforme mise en place par Barack Obama parce
qu’elle craint pour ses avantages et de devoir payer plus cher, mais surtout
parce que c’est une réforme décidée par Washington, la ville que l’on déteste
et que l’on veut abattre (tout politicien qui veut se faire élire doit affirmer
à un moment ou à un autre qu’il va aller faire le ménage dans la capitale).
Mais, dès que le gouvernement fédéral veut réformer un
système d’aide, comme ce fut le cas pour Medicaid, l’assurance pour les
personnes âgées, alors il y a un front du refus pour que l’Etat ne touche pas à
ce programme alors même que c’est lui qui l’a créé et qui le gère, ce que ne savent
pas une grande partie des Américains!
Mais le paradoxe ne s’arrête pas là.
Car, de sondages en sondages, les Américains ont plutôt
tendance à se situer au centre de l’échiquier politique alors que le nombre
d’élus centristes continuent de baisser inexorablement.
Il n’y en a quasiment plus au Parti républicain et de moins
en moins au Parti démocrate.
Cette situation est une des conséquences de ce charcutage
(appelé «gerrymandering» aux Etats-Unis) que j’évoquais plus haut et qui a
consisté, ces dernières années, surtout dans les Etats dominés par la
républicains, à fabriquer des circonscriptions sûres pour chaque parti.
Ainsi, dans de nombreux endroits, ce n’est plus le scrutin
officiel qui désigne l’élu mais les primaires à l’intérieur d’un des deux partis
puisque son représentant est ensuite sûr d’être élu…
Evidemment cela favorise dans chaque camp les minorités
agissantes qui se mobilisent pour ces primaires, c’est-à-dire des personnes
plus à droite et plus à gauche que la moyenne de la population américaine.
Du coup, seule l’élection présidentielle reflète les
véritables forces en présence.
Encore que, les dispositions prises par de nombreux Etats
(dominés par les républicains) pour limiter dans les faits le vote des
minorités et des plus pauvres afin de pénaliser le Parti démocrate vont
peut-être désormais fausser la démocratie comme ce fut le cas au pire moment de
la ségrégation dans le Sud.
Car une majorité de la population américaine est aujourd’hui
modérée et centriste et elle souhaite que l’égalité des citoyens soient mieux
respectée ainsi que ses «opportunities» (que l’on peut traduire par chances et
opportunités) de réussite alors que les riches deviennent de plus en plus
riche, que les pauvres sont plus nombreux et que les revenus de la classe
moyenne stagnent quand ils ne régressent pas.
Néanmoins, dans la plus pure tradition américaine, l’Etat
fédéral demeure une sorte de machine obscure dont on continue à se méfier et
qui permet à tous les démagogues et les opportunistes de faire entendre leurs
voix.
Ainsi en est-il quand le gouvernement veut offrir une
assurance santé à tous les Américains ou quand il vaut limiter le port d’armes.
En outre, le métissage de plus en plus grand de la
population américaine avantage de loin de la Parti démocrate qui est nettement
plus ouvert qu’un Parti républicain dont les électeurs sont majoritairement des
hommes blancs de plus de40 ans qui ont peur de l’avenir avec, selon eux, la
décadence de la culture anglo-saxonne, ce qui les amène à un grand conservatisme
et à des comportements souvent xénophobes.
Tout ceci fait que ce paradoxe devrait perdurer et impacter
durement le pays qui se retrouve paralysé pour de grandes décisions qui
engagent son avenir (réforme de la politique d’immigration, transition
énergétique, lutte contre le réchauffement climatique, pérennisation de
l’assurance santé, continuation de la réforme du système financier, vaste plan
de construction et de réparation d’infrastructures, entre autres).
Les prochaines élections législatives devraient ainsi être à
l’avantage des républicains (d’autant plus que Barack Obama, attaqué sans cesse
par ceux-ci mais aussi les médias et une partie des démocrates, est
actuellement très fragilisé) alors que les prochaines élections présidentielles
devraient voir un démocrate l’emporter, sans doute Hillary Clinton (même si
elle n’est pas encore candidate et qu’elle doit s’attendre à des attaques d’une
dureté exceptionnelle si elle se présente).
Il y a, bien entendu, des tentatives pour sortir de cette
impasse avec des républicains et des démocrates modérés qui discutent ensemble
pour trouver des compromis et établir des consensus, voire pour s’allier dans
des structures informelles ou pour créer une troisième force centrale qui n’a
jamais pu, jusqu’à présent, peser sur les élections malgré plusieurs essais
infructueux.
Les électeurs des deux bords, aussi, semblent plus enclins à
vouloir voir le pays aller de l’avant plutôt que de demander à leurs élus
respectifs d’être intransigeants avec l’autre camp.
C’est en tout cas ce que disent les sondages.
Toujours est-il que la dureté des affrontements politiques
lors du mandat de Barack Obama vient, c’est vrai, d’un conservatisme en total
résistance du Parti républicain (sans oublier le racisme d’une partie de son
électorat) mais, surtout, d’une peur panique de perdre pour longtemps le
pouvoir face à des démocrates qui sont plus en phase avec la démographie du
pays.
C’est pourquoi, quand Obama a proposé, dès sa prise de
fonction en 2009, suite à ses promesses de campagne, de travailler avec les
républicains, afin de tenter de trouver de larges consensus entre les deux
bords et de mettre en place un régime «post-partisan», certes quelque peu
utopique, les républicains ont répondu par le blocage du système politique, une
opposition intransigeante et des attaques constantes sur la personne même du
président.
Rappelons, tout de même, que le blocage institutionnel fait
partie même du régime politique américain, voulu par les Père fondateurs qui,
par peur qu’une faction puisse diriger le pays pour ses intérêts propres et
pour protéger les droits de la minorité, a mis en place un système qui oblige
aux compromis et aux consensus et, si ce n’est pas le cas, aboutit à une
paralysie quasi-totale.
Cette méfiance qu’ils avaient d’une majorité qui pourrait
opprimer la minorité est à mettre à leur crédit.
Reste que cela permet aujourd’hui à des activistes radicaux
très minoritaires, comme ceux du Tea Party par exemple (grâce à la fortune de
quelques milliardaires réactionnaires qui les soutiennent), de bloquer la plus
vieille démocratie du monde.
Elle a surtout permis l’existence de ce paradoxe qui fait
que les Etats-Unis sont en train de devenir ingouvernables.
Car c’est bien à un gouvernement centriste qu’ils pensaient
quand ils ont mis en place les fameux «checks and balances» (que l’on peut
traduire sommairement par des mesures permettant l’équilibre des trois pouvoirs
– exécutif, législatif, judiciaire –, chacun pouvant bloquer l’autre) mais ils
n’ont pas forcément compris que ce système pourrait être utilisé un jour par
ceux qui jouent contre leur pays.
In fine, la tâche des centristes, qu’ils soient
républicains, indépendants (comme Michael Bloomberg) ou démocrates (comme
Hillary Clinton), de remettre la politique américaine sur des bons rails,
s’annonce des plus ardues même s’ils représentent la volonté de la majorité du
pays. Ou, peut-être, à cause de cela…
Alexandre Vatimbella
(*) «Le Centrisme du XXI° siècle – La politique de
l’Humanisme Respectueux et du Juste Equilibre» (CREC Editions)
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