L’Inde a donc un nouveau premier
ministre, Narendra Modi, et, surtout, pour la première fois depuis longtemps,
un parti, le BJP (Bharatya Janata Party) qui a une majorité absolue à la
Chambre des députés, la Lok Sahba, réduisant dans le même temps, la
représentation du parti du Congrès de la dynastie Nehru-Gandhi au pouvoir
jusque-là à une quarantaine d’élus.
Un véritable séisme politique!
Cette majorité absolue est loin
d’être anodine quand on se rappelle que la plupart des blocages connus par le
précédent gouvernement venait avant tout de son impossibilité à réunir une
majorité sur des textes fondamentaux pour le développement du pays et son
ouverture à la mondialisation ainsi que pour mettre fin à toutes les
prévarications qui gangrènent le monde politique et empêchent l’Inde de rentrer
de plein pied dans le XXI° siècle.
Ce qui est paradoxal dans
l’affaire c’est que c’est un nationaliste aux idées parfois dangereuses et
xénophobes qui va peut-être, enfin, ouvrir réellement le pays, ce que n’a pas
réussi à faire Manmohan Singh, le premier ministre sortant qui, pourtant, avait
la volonté d’aboutir mais n’avait pas les mains libres pour le faire.
Bien entendu, il faut nuancer
cette affirmation en rappelant ce que l’on oublie trop souvent, que l’Inde est
une fédération d’Etats et que ceux-ci possèdent de nombreux pouvoirs qui
peuvent bloquer toute modernisation politique ou tout progrès économique et
social.
Exit donc le parti du Congrès et
voici maintenant le BJP au pouvoir.
Néanmoins, la prudence demeure de
mise face à une vision de l’Inde portée le BJP (accusé, notamment, de vouloir
imposer l’hindouisme de force à tout le pays) qui pourrait rapidement faire
basculer le pays dans une idéologie d’exclusion et de nationalisme pur et dur,
voire d’affrontements entre la communauté hindou, d’un côté, et les autres
communautés religieuses de l’autre, au premier rang desquelles on trouve les
musulmans (sans oublier les chrétiens et les sikhs).
Or, pour se développer, l’Inde a
absolument besoin de consensus intérieur et d’une véritable ouverture vers l’extérieur,
ce qu’elle n’a pas réussi à faire ces dernières décennies d’où une croissance
désormais en berne qui, si elle atteint 4,5% environ, est bien loin des 10%
nécessaires (et que le pays n’a atteint que rarement) pour faire sortir
l’énorme majorité de sa population de la pauvreté.
Sans oublier des infrastructures
lamentables, une inflation structurelle quasi-immaîtrisable en phase de forte
croissance et des écarts de richesse au-delà de l’imaginable entre les plus
aisés et les plus pauvres.
Car, au-delà des performances
remarquables de certaines entreprises indiennes et de la naissance d’un noyau
de classe moyenne, la réalité de l’Inde c’est la pauvreté endémique – et pas
seulement dans les campagnes – des trois quarts de la population dont une
grande partie ne mange pas encore à sa faim et vit dans un état d’insalubrité
chronique, ne pouvant bénéficier de l’électricité l’entière journée et de l’eau
potable, incapable de pouvoir se déplacer correctement avec un réseau de
transport (routier, ferroviaire, aérien) sous-développé.
Les challenges que doit relever Narendra
Modi sont réellement impressionnants et ont été maquillés par des statistiques
officielles truquées, pratique maintes fois dénoncées par les économistes
indiens eux-mêmes.
Ils le sont d’autant plus que ces
challenges, du fait du blocage politique de ces dernières années, se sont
accumulés sur fond d’incurie de la fonction publique et de sa corruption
endémique (qui touche aussi le secteur privé) et de corporatismes gigantesques
qui font que l’Inde a pris un retard peut-être irrattrapable face à son grand
voisin et son grand concurrent, voire adversaire, la Chine mais aussi de
nombreux grands pays émergents comme l’Indonésie, la Turquie et même le Brésil.
Sans oublier que le nationalisme
intolérant du BJP pourrait faire monter les tensions avec les voisins de l’Inde,
au premier rang desquels, outre la Chine et le Bangladesh, il y a évidemment,
le Pakistan.
L’avenir de l’Inde, malgré cette
clarification politique qui était nécessaire pour sauver le pays d’un
engourdissement fatal, est plus que jamais fragile.
Les Indiens, qui viennent de le
porter au pouvoir, vont ainsi pouvoir juger si Narendra Modi, de politicien
habile et tribun brillant pourra se transformer un homme d’Etat responsable et
bâtisseur de l’Inde nouvelle.
En tant que gouverneur de l’Etat
du Gujerat pendant treize ans, il a réalisé de bonnes choses économiquement
parlant mais a été une sorte de populiste intolérant qui a couvert et, pour
certains, ordonné, le massacre de mille à deux mille musulmans lors d’émeutes
en 2002.
Sera-t-il le «marchand de morts»
comme le qualifie ses opposants, l’homme de l’intolérance, ou le «magicien»
comme l’appelle ses partisans, l’homme de la réussite économique?
La réponse ne devrait pas tarder.
Alexandre Vatimbella
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