Qu’elle aille bien ou mal, l’économie chinoise est un danger pour le monde, tout au moins un sacré challenge.
D’un côté, si la croissance chinoise continue à être insolente, cela posera un grave problème à l’Europe et aux Etats-Unis. Mais, d’un autre côté, si la croissance chinoise montre des signes de faiblesse, voire si l’économie chinoise s’effondre, cela posera également un grave problème pour les pays avancés.
Et ce qui «pimente» cette alternative, c’est que personne ne sait exactement dans quelle direction va la Chine!... Quoiqu’il en soit, comme le déclare Barthélémy Courmont et Emmanuel Lincot dans la revue Monde Chinois (*), «2012 sera une année cruciale pour la Chine».
Le «miracle chinois» qui est devenu une menace pour la planète, provient largement d’un renoncement et d’une irresponsabilité de l’Occident qui dure depuis trente ans. Au lieu de s’entendre avec les Chinois pour permettre une relation équilibrée, les responsables politiques et économiques des pays avancés d’Europe et d’Amérique ont préféré laisser jouer une sorte de jeu de dupe où la Chine a très vite compris que son intérêt était de produire en masse à bas prix pour inonder de produits l’Occident tout en refusant une régulation indispensable que ce même Occident pouvait, à l’origine, lui imposer puis une réciprocité tout aussi indispensable afin de ne pas se retrouver devant les difficultés actuelles.
Mais les profits étaient trop alléchants pour les milieux d’affaires qui n’ont pas, comme préoccupation première, le développement équilibré de la mondialisation. Celle-ci revient aux politiques qui n’ont pratiquement rien fait, trop contents de pouvoir offrir, grâce notamment aux délocalisations, des profits à leurs entreprises et des produits à bas prix à leurs consommateurs, pariant sur les services, la finance et la haute technologie pour offrir des emplois à leurs travailleurs et conserver ce fameux «avantage technologique» qui ressemble de plus en plus à de la poudre de perlimpinpin.
Mais cette nouvelle division du travail à l’échelle mondiale était viciée dès le départ car, pour qu’elle fonctionne, il fallait que la Chine demeure un atelier du monde de produits bas et éventuellement milieux de gamme et ne deviennent pas l’usine à tout faire, jusqu’aux produits hauts de gamme, de la planète dont elle finira par maîtriser la fabrication tôt ou tard.
Et pourquoi la Chine se serait-elle privée de le faire puisque personne ne lui a demandé de ne pas le faire?! Et pourquoi l’aurait-elle fait en respectant des règles puisque personne ne lui a demandé d’en respecter?! Il aurait été bien stupide, de la part des dirigeants chinois, de s’imposer des freins à la croissance économique du pays. Cela aurait même été irresponsable de leur part. Mais cela a été tout aussi irresponsable de la part des responsables des pays avancés de ne pas obliger la Chine à jouer au moins le même jeu.
Mais en laissant la Chine se développer n’importe comment, les pays avancés ont produit une instabilité qui risque de tout emporter, même la Chine elle-même! Ainsi, le pays doit faire face à des défis immenses.
Rappelons-en quelques uns: une hausse des coûts de production qui rend ses produits moins attractifs que ceux des nouveaux dragons comme le Vietnam ou les Philippines; la montée en puissance d’une classe moyenne qui ne veut plus se contenter d’un monde uniquement matériel mais réclame plus de liberté; des ouvriers et des employés, sans parler des paysans, qui veulent une part plus équitable de la forte croissance; une corruption qui s’étend et provoque de plus en plus la fureur de la population; un système financier gangréné par des prêts insolvables et des investissements dans des infrastructures inutiles; un appareil productif souvent obsolète et souvent incapable de passer à l’élaboration de biens de haute technologie autrement que par l’assemblage; un pays divisé en régions qui profitent de la mondialisation et d’autres qui demeurent largement sous-développées avec des populations vivant largement en-dessous du seuil de pauvreté; des problèmes environnementaux de plus en plus inextricables avec, entre autres, une pollution endémique, un manque d’eau dans certaines régions, une diminution des sols cultivables; un système de protection sociale quasi-inexistant alors que la population vieillit très vite et dont une partie de ses séniors risque d’être replongée dans la très grande pauvreté; un environnement international peu favorable où les «amis» de la Chine sont de moins en moins nombreux, suite à une agressivité de plus en plus forte du pouvoir communiste de Pékin en matière de relations internationales et étant souvent des pays autoritaires, voire dictatoriaux. Et cette liste n’est pas exhaustive…
Aujourd’hui, deux courants s’affrontent sur la capacité de la Chine à faire face à ces challenges qui se présentent à elle. Le premier courant affirme que la Chine est solide et saura faire face à une crise quelle que soit son importance. L’autre explique que la Chine est devenue ces dernières années un colosse aux pieds d’argile (ou qu’elle l’a toujours été) et que les fragilités politiques, sociales, économiques et internationales se sont accumulées en autant de strates, rendant possible et même probable pour certains, sinon un effondrement, tout au moins la survenance à plus ou moins brève échéance d’une très grave crise.
Dans ce dernier groupe, on compte le tout nouveau ambassadeur des Etats-Unis en Chine, Gary Locke, Américain d’origine chinoise. A la question posée lors d’une interview sur la situation actuelle de la Chine, il a répondu «Elle est très délicate il me semble, très, très délicate». Mais même le pouvoir communiste est conscient des difficultés à venir, le premier ministre, Wen Jiabao ayant déclaré que la Chine allait être confrontée à «de plus grands défis que l’année dernière». Un euphémisme pour qualifier l’inquiétude des dirigeants au moment où, en plus, il y a aura une passation de pouvoir à la tête du PCC.
Dès lors, le miracle chinois pourrait devenir un cauchemar planétaire. Pourquoi? Tout simplement parce qu’au fil des ans, la Chine est bien devenue le moteur de la croissance économique mondiale et qu’en période de vaches maigres dans les pays avancés, tout l’espoir repose sur le fait que la Chine soit la locomotive pendant cette mauvaise passe, soutenant l’activité mais, plus, qu’elle soit le moteur de la sortie de cette anémie pour redynamiser la croissance mondiale.
Doit-on craindre un effondrement de la Chine? Il est évident que celui-ci serait, à court terme, extrêmement douloureux pour l’économie mondiale. Et personne ne semble le souhaiter, même les Etats-Unis. Selon Barthélémy Courmont et Emmanuel Lincot, «hier désireux de la voir ‘effondrer, les Américains ont aujourd’hui pris la mesure de l’importance de maintenir la croissance chinoise, en raison des interdépendances de plus en plus fortes».
Mais il se pourrait qu’il ne soit pas aussi dramatique que certains veulent bien le dire sur le moyen et long terme. D’abord, parce que les pays avancés ne sont pas aussi délabrés qu’on veuille bien le dire. Ensuite, parce qu’il y a de nombreux pays qui sont prêts à prendre la suite de la Chine et qui ont déjà les capacités de la remplacer dans certains domaines. Enfin, et surtout, parce que cela permettrait, si la volonté politique est là, de remettre de l’ordre dans la mondialisation en mettant en place, et pas seulement pour la Chine, les régulations et les contrôles nécessaires pour que la compétition mondiale se fasse dans une concurrence honnête. Des régulations et des contrôles qui pourraient être la vraie base d’une gouvernance mondiale si souvent repoussée par des dirigeants de la planète à l’hubris tout autant imprudent qu’impudent…
Alexandre Vatimbella
© 2012 LesNouveauxMondes.org
(*) L’avenir de la Chine s’écrit-il en 2012?, Barthélémy Courmont et Emmanuel Lincot, Monde chinois n° 28, Choiseul éditions, 20€