Den Xiaoping avait l’habitude de répéter à ses amis du Parti communiste chinois qu’il fallait avancer prudemment et que, pour traverser la rivière, il convenait de mettre ses pieds sur les pierres sauf à se noyer. Il semble que ces conseils ne soient plus de mise à Pékin où la formidable croissance économique du pays a réveillé les ambitions hégémoniques du pouvoir tant à l’intérieur avec la répression plus forte des dissidents qu’à l’extérieur avec la formidable suffisance d’une nation qui, soudain, se croit tout permis ou presque.
Pour certains experts, cette hubris des communistes chinois qu’ils alimentent auprès du peuple avec des discours de plus en plus nationalistes seraient une preuve de la puissance de l’aile dure et idéologique du PCC et l’affaiblissement d’une ligne plus pragmatique défendue par le Premier ministre, Wen Jiabao, et même par le Président de la république, Hu Jintao.
Les explications de cette volonté de redevenir le «centre du monde» sont nombreuses. Bien sûr, la Chine a été pendant des siècles la première puissance mondiale. Bien sûr, l’effondrement du pays au XIX° siècle et pendant la majeure partie du XX° siècle appelle des revanches d’un peuple fier sur sa décadence passée et sur les humiliations infligées par les Occidentaux et les Japonais. Bien sûr, le développement gigantesque du pays et sa réussite économique monteraient à la tête de n’importe quel leader politique de n’importe quel pays.
Mais il ne faut pas oublier non plus que tout pouvoir dictatorial dans l’histoire est tenté par cette volonté de surpuissance (Allemagne nazie, Italie fasciste, Russie communiste, Chine maoïste, etc.). D’autant qu’elle est un moyen d’entretenir une adhésion populaire. Ceci est d’autant plus vrai pour la Chine que le pays, toute grande puissance économique qu’elle est devenue, va faire face à des défis incroyablement dangereux pour son futur (et le futur du monde conséquemment).
Car les Chinois vont se trouver bientôt à la croisée des chemins. D’une part, ils vont devoir réorienter leur économie d’une machine exportatrice à une machine créatrice de consommation intérieure et de réduction des inégalités par la mise en place de programmes sociaux au risque de graves troubles intérieurs et de déséquilibres économiques catastrophiques. Et ce n’est pas gagné d’avance comme le savent certains dirigeants du pays qui appellent constamment à des efforts en ce sens.
D’autre part, la montée en puissance de la Chine inquiète. Sa suffisance et son agressivité ont jeté les masques pour bien des pays dans le monde. Pour les Occidentaux, bien sûr, mais aussi et surtout pour les voisins de la Chine, de l’Inde au Japon en passant par l’Indonésie et même la Russie. Du coup, le «softpower» à la chinoise tant vanté il y a encore deux ans par Hu Jintao et Wen Jiabao fait désormais figure de vieillerie qui n’a jamais servie. Même l’Afrique pourtant si accueillante aux capitaux chinois découvre que l’amitié sino-africaine ressemble souvent aux anciennes relations entre le colonisateur et le colonisé. L’environnement international devrait donc être moins favorable à la Chine et à ses intérêts dans les années qui viennent et elle pourrait se retrouver plus isolée qu’elle ne le pense.
Du coup, la Chine devrait se méfier de tant de confiance en soi. Celle-ci est bien sûr indispensable pour avancer et le pays a démontré sa grande force à se sortir d’un sous-développement en quelques décennies pour faire profiter 400 millions de ses 1,4 milliards de citoyens au miracle économique. Mais l’hubris, qui résulte souvent d’une confiance démesurée, lui, a fait s’effondrer bien des civilisations qui se croyaient invulnérables. Alors, un modèle capitalo-autoritaire n’en n’est certainement pas à l’abri!
Reste que l’on peut aussi se poser la question de savoir si cette agressivité chinoise ne dévoile pas aussi l’angoisse des dirigeants devant le futur extraordinairement dangereux du pays que nous avons évoqué plus haut. Car, pour continuer sur la voie qu’elle s’est tracée, la Chine va devoir faire face à des défis énormes comme, par exemple, nourrir convenablement sa population dans la durée alors que les terres cultivables sont quasiment toutes utilisées, sécurisée l’approvisionnement des matières premières dont elle a besoin pour faire tourner ses usines, créer un filet de sécurité en matière sociale pour sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes, empêcher les troubles sociaux et indépendantistes qui sont latents, relever le défi de la pollution de son atmosphère et de ses nappes phréatiques sauf à courir le risque d’une catastrophe écologique de grande ampleur, régler les problèmes de sécheresse et d’avancée du désert, trouver une solution au vieillissement de la population sans accroître démesurément sa population déjà trop nombreuse, donner de la liberté à sa classe moyenne tout en évitant une explosion démocratique qui pourrait aboutir à une explosion du pays tout court. Et l’on pourrait continuer cette liste. Alors la Chine se voit peut-être aussi belle parce qu’elle a peur de se regarder vraiment dans le miroir…
Alexandre Vatimbella
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